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CFE-CGC ST Rousset
4 février 2011

STMicroelectronics peut-il garder ses usines ?

Les électroniciens dans le piège du sablier

P. Escande

Les echos

A quelle date la France fermera-t-elle sa dernière usine ? Les zélateurs de l'industrie ont lu avec effroi le dernier prix Goncourt, dans lequel Michel Houellebecq imagine une France d'après-crise vidée de ses usines et prospérant par le seul tourisme. Une Grèce tempérée. De Martine Aubry à Marine Le Pen, en passant par Nicolas Sarkozy hier, nos politiques fustigent tous la désindustrialisation inéluctable du pays.

Peut-on prospérer sans usine ? On pense à cela en pénétrant dans l'immense site industriel de STMicroelectronics à Crolles, près de Grenoble. Des milliards d'euros investis pour bâtir une cathédrale technologique, où des sortes de cosmonautes évoluent dans un air d'une pureté totale, renouvelé toutes les neuf secondes. Les robots travaillent, les hommes surveillent. Ils produisent les briques de base de notre société de l'information. Chacun d'entre nous utilise en moyenne 250 de ces petites puces chaque jour et on estime que 10 % de l'économie mondiale (du PIB) sont désormais liés à l'industrie des semi-conducteurs.

L'usine à 10 milliards

En 1975, la capacité de stocker un mégabit de données sur un circuit électronique coûtait le prix d'une maison (76.000 euros). Aujourd'hui, elle ne coûte même pas le prix d'une feuille de papier (0,004 euro). Vingt millions de fois moins cher ! Cette chute incroyable, qui a permis tout l'essor de cette industrie, est due aux progrès de finesse de gravure sur des plaques de silicium. En 1975, l'un des trois fondateurs d'Intel, Gordon Moore, a constaté que le nombre de transistors sur un microprocesseur doublait à prix constant tous les deux ans.

Cette descente vertigineuse dans l'infiniment petit (la taille d'une molécule, voire d'un atome) s'accompagne d'une autre loi empirique : les coûts de fabrication doublent tous les quatre à cinq ans. Une usine coûtait 70 millions de dollars en 1980, 1 milliard en 1995, 4 milliards aujourd'hui et 10 milliards en 2020. Qui pourra se l'offrir ? D'autant que les frais de recherche explosent dans la même proportion. L'électronique, c'est le mélange de la sidérurgie, pour son aspect capitalistique et très cyclique, et de l'informatique ultramondialisée.

Quatre continents

Dès lors, le monde des semi-conducteurs a éclaté en quatre continents. Le premier est le moins peuplé : c'est celui des constructeurs, qui peuvent, seuls, se payer recherche et usines. En fait, il n'y a plus qu'un habitant, Intel. Sa taille et sa position hégémonique sur son marché des puces pour ordinateurs lui permettent d'investir près de 10 milliards par an dans ses usines et plus encore dans sa recherche (14 milliards en 2011). Pour les autres, la survie passe parfois par l'abandon des usines. Ils ont trouvé pour cela le continent des « fondeurs ». Un métier inventé en 1987 par le Taïwanais Morris Chang, fondateur de TSMC. A l'image de ce qui se passe dans le reste de l'électronique ou dans le textile, sa société conçoit et fabrique des puces pour qui veut. Du coup, une nouvelle race d'acteurs a émergé, les « fabless », concepteurs sans usine, à l'image de l'américain Qualcomm.

Enfin, le quatrième continent est le plus peuplé, mais sa population diminue à grande vitesse : c'est celui des acteurs historiques qui, dépassés par l'inflation technologique, unissent leurs forces dans des programmes de recherche allant jusqu'aux process de fabrication, voire aux usines communes. STMicroelectronics, qui dépense 25 % de ses ventes en R&D, est un expert des alliances, puisque lui-même est l'union d'un italien (SGS) et d'un français (Thomson). Il s'est d'abord allié à Motorola et Philips, avant de rejoindre une très vaste alliance formée autour d'IBM. Si vaste qu'elle rassemble pratiquement tous les acteurs historiques intermédiaires.

Qui sont les gagnants ?

Une comparaison du classement des dix premiers mondiaux en 2000 et en 2010 est éclairante. Si Intel conserve son hégémonie en tête du classement et si Toshiba, Texas Instruments et STMicroelectronics maintiennent leur rang, on distingue trois grands gagnants. Et, curieusement, ils représentent chacun un modèle industriel complètement différent. Samsung, généraliste absolu de l'électronique et numéro deux mondial, s'est extrait du marais des historiques « moyens » en triplant son chiffre d'affaires grâce à sa spécialisation sur les mémoires (DRAM, Flash). Dans ce domaine, il a ridiculisé les japonais sur leur propre terrain. L'autre gagnant est Qualcomm. Son chiffre d'affaires a doublé en cinq ans grâce à ses brevets sur la téléphonie mobile de nouvelle génération. Le troisième gagnant, en miroir du succès de Qualcomm, est son fournisseur TSMC. Avec plus de 13 milliards de revenus en 2010, il est devenu le troisième acteur mondial du secteur et détient 50 % du marché de la sous-traitance.

Les gagnants ne sont donc pas ceux qui ont arrêté leurs usines, mais ceux qui ont conquis une position ultradominante dans leur domaine qui leur permet d'imposer leurs prix. D'ailleurs, l'un des perdants de la décennie, l'ancienne filiale de Motorola, rebaptisée Freescale, a adopté un modèle sans usine, qui ne l'a pas fait remonter dans le classement. Son chiffre d'affaires a été divisé par deux en dix ans et elle a disparu du Top 15 mondial.

Faut-il garder ses usines ?

C'est pourquoi, pris au piège de la loi Moore, tous les acteurs moyens qui ont résisté à la violence des cycles et à l'inflation des coûts veulent garder leurs usines. Pour STMicroelectronics, c'est le seul moyens de garder l'avance technologique et surtout d'éviter de se faire imposer des délais et des coûts par un fournisseur aussi puissant que TSMC. Mais pour éviter les surcapacités en bas de cycle, le franco-italien a néanmoins choisi de réduire de moitié le nombre de ses usines et de confier 20 % de sa production à des fondeurs.

Dans ce domaine aussi, l'effet sablier joue à plein. Ceux qui s'en sortent sont soit les petits acteurs de niche sans usine (Broadcom, ARM), soit les très gros qui dominent leur secteur. Ceux du milieu sont en difficulté. Les japonais n'en finissent pas de fusionner sans parvenir à enrayer le déclin et les généralistes qui résistent bien, comme STMicroelectronics ou Texas Instruments, tentent de multiplier les collaborations, tout en rationalisant leur portefeuille.

Le franco-italien a passé le cap des 10 milliards de chiffre d'affaires et s'est recentré sur le multimedia, les télécoms et l'automobile. Il fait un malheur avec ses micro capteurs (mems) qui équipent les smartphones. Sa diversité réduit les risques, mais le disperse et ralentit aussi sa croissance globale.

Faut-il aller plus loin pour survivre ? L'industriel est sorti du rouge en 2010 et finit juste l'intégration douloureuse des activités télécoms de NXP (ex-Philips), il doit grandir encore, s'il veut rester dans le club de plus en plus étroit des bâtisseurs d'usines qui plaisent tant à nos politiques et si peu à M. Houellebecq.

Les chiffres clefs de stmicroelectronics Points forts Points faibles

-Chiffre d'affaires (2010) : 10,3 milliards de dollars (+ 21,6 %).
-Résultat net : 830 millions.
-Effectif : 51.000 personnes.-Position dans les télécoms.
-Portefeuille recentré.
-Leader dans les Mems.
-Expertise des alliances.-Pas de position hégémonique.
-Coût des usines.
-Croissance trop modeste.

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